Apporter de la profondeur à vos personnages : les secrets de la caractérisation
Créer un personnage attachant est une tâche passionnante, mais complexe. Il faut lui apporter de la nuance, de la cohérence et le tout en travaillant son évolution dans l’histoire : le fameux arc narratif. Le lectorat de Fantasy aime les personnages autant que le monde imaginaire. Ils sont des éléments incontournables et essentiels à son expérience de lecture. Les férus de littérature de l’imaginaire adorent être captivés, immergés dans le roman ou la nouvelle. J’ai rassemblé dans cet article des conseils d’écrivains et écrivaines pour écrire un bon personnage qu’il soit votre protagoniste, antagoniste ou secondaire.
Créer des personnages marquants en rassemblant le maximum de détails
On utilise souvent la métaphore de l’escalier pour décortiquer des objectifs en étapes plus accessibles. Pour créer votre protagoniste, antagoniste, ou personnage secondaire, vous pouvez faire pareil. Dans Wonderbook, l’auteur détaille les points auxquels il prête attention. Nous en ferons des marches.
Apparence physique
Un ou deux détails de cheveux, de vêtements (ceinture avec une boucle particulière) ou tout autre chose suffit et aide le lecteur et l’auteur à ancrer un personnage dans une époque, un monde imaginaire (des écailles par exemple), une claudication, etc.
Ses croyances et convictions
Dans Divergente, les factions sont l’image des partis politiques que nous connaissons en démocratie.
Bizarreries
On en a tous unes (si, si, si réfléchissez bien 😌 ) . Elle peut être de toute sorte : utiliser une même expression plusieurs fois, un juron qui revient constamment, se frotter le lobe de l’oreille, manger et aimer les cornichons au chocolat, etc.
Ses espoirs et ses rêves
On commence à imaginer ici les objectifs du personnage, ce qu’il désire. Il ou elle aspire à ouvrir une boutique d’Antiquités magiques ou devenir le roi ou la reine de l’univers ? Peu importe, votre protagoniste devra poursuivre son but, et comme vous le savez déjà (parce que vous avez lu l’article précédent 😊), l’antagoniste essaiera de l’en empêcher.
Vulnérabilités et insécurités
Tout ce qui risque de se mettre en travers du chemin de votre personnage, mais qui vient de lui : manque de confiance, colère, etc. Qu’est-ce qui va provoquer cette vulnérabilité ?
Ses talents et aptitudes
Pouvoir magique, habilité physique et mentale comme une connaissance approfondie de la faune ou la flore, des meubles anciens, etc. Ici on peut aborder les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour atteindre son objectif ou son rêve, et commencer à faire des liens.
Secrets et mensonges
Dans mes secrets d’écrivain, Elizabeth George met l’accent sur le secret d’un personnage. Il doit être impactant. Dans son genre de littérature c.-à-d. le thriller, le secret reste souvent à l’origine du problème, du déclencheur de l’histoire et donc de la solution finale. Pourtant, il n’a pas besoin d’être un coup de théâtre qui va provoquer des remous dans l’intrigue. Il peut servir à le nuancer. Et c’est déjà bien.
Un exemple 👇
Par exemple : Orka a été mercenaire de la confrérie du sang ( des Corrompus qui doivent cacher leurs pouvoirs ). Elle a simulé sa mort pour élever son fils en paix, en faisant cela, elle a trahi son serment de fidélité.
Même si Orka a honte d’avoir déserté son clan, elle ne regrette rien si ce n’est d’avoir dû mentir à ses amis, frères et sœurs d’armes. Lorsqu’elle les rencontre au hasard de sa quête, elle les approche avec humilité et respect. Personne ne lui reproche rien jusqu’à ce qu’un de ses anciens protégés (qui a grandi) la questionne. Il lui fait sentir sa défection, et surtout le deuil qu’il a traversé pour rien.
Ces extraits ne sont pas nombreux et peuvent passer inaperçus à la lecture, mais grâce à eux John Gwynne donne de la nuance à sa protagoniste.
Une dose de psychologie nimbée de philosophie pour construire un personnage nuancé
Lorsque nous connaissons mieux nos personnages ( que nous écrivons au fil de l’eau ou préparons tout avant ) certaines questions contribuent à approfondir et mener l’intrigue. En effet, elles peuvent nous aider à débloquer l’écriture de certains passages.
Qui connaît le secret ou possède des infos sur vos personnages et donc a du pouvoir sur eux ? Dans quelle mesure cela influe sur le récit ? Comment un tiers utilisera ces informations ?
En Fantasy, le sentiment d’appartenance est un thème récurrent : alors est-ce que vos personnages ont besoin de prouver leur valeur à un autre ou une autre, d’avoir son approbation ? Est-ce que le personnage sera capable de renoncer à se faire aimer ou accepter pour atteindre un objectif ? Prendra-t-il toutes les décisions nécessaires ?
Quelles seront les impacts sur sa psyché si quelqu’un le ou la désapprouve voire veut lui nuire ? Est-ce que cela réveillera une insécurité et quelles seront les conséquences ? Ou au contraire est-ce que cela galvanisera votre personnage ?
Vous savez comment créer un personnage attachant qui captive votre lectorat. Vous avez réfléchi à vos caractéristiques et fait des liens. Tout cela est réuni ? Passons à l’écriture.
Caractériser votre protagoniste (et les autres) grâce à des techniques d’écriture👇
Une fois que vous avez développé vos personnages. Vous avez quelques moyens à votre disposition à utiliser dans la narration.
L’objet que l’on aime ou déteste ou les deux
La relation aux objets en dit long sur une personne dans la réalité, c’est la même chose dans vos histoires. Les objets attachés au personnage caractérisent bien celui-ci si on s’en empare.
Un pirate avec cache-œil n’est pas exceptionnel, un pirate avec un cache-œil, mais qui n’est pas borgne en réalité peut apporter de la profondeur à un personnage. Comment ? Parce qu’il questionne.
Pourquoi porte-t-il ce cache-œil ? A-t’il envie de sembler puissant parce qu’il éprouve de la vulnérabilité ? Il ne sent pas à sa place de redoutable capitaine ? Ou peut-être, est-ce un cache-œil magique qui le guide comme un sextant pourrait le faire ? Ou alors c’est un accessoire standard obligatoire imposé par la guilde des corsaires .
En résumé, une multitude de raisons peuvent expliquer ce cache-œil et ainsi caractériser votre flibustier. Mais, une reine des elfes avec un cache-œil serait tout aussi étonnante.
L'inattendu dans la routine
Cela consiste en une interruption dans le schéma narratif et/ou psychologique du personnage. Insignifiant ou pas, ce stimulus peut bouleverser son arc narratif et lui apporter de la profondeur.
Ici on peut se servir des habitudes que l’on aura développées pour notre protagoniste ou antagoniste. Reprenons notre exemple, si votre personnage ne frotte pas le cuir de sa selle de manticore pour une raison ou une autre.
Qu’est-ce qui l’en a empêché ? Que va t’il ou elle lui arriver ? Un sabotage ?
Commérages de personnages de roman (ou jouer avec la perception)
La façon dont le personnage est perçu par les autres est une clef de la caractérisation : Comment le personnage est perçu ? Comment le personnage croit être perçu ? Comment votre protagoniste ou antagoniste se perçoit lui-même ou elle-même ?
C’est flagrant dans les tandems. Dans la voie de l’ascendance, Ian Esslemont utilise le duo afin de camper ses protagonistes (que l’on aurait du mal à qualifier de héros 😀). Kellanved paraît tête en l’air, ne se préoccupe pas des affaires du monde palpable tandis que Danseur assure ses arrières et pallie ses manques.
Dans un passage du tome 3, Danseur met le doigt sur un trait de personnalité de (Wu) Kellanved. Il souligne le paradoxe chez son comparse qui est pourvu d’une forte volonté, mais un seul revers peut le rendre apathique. Cet extrait est un exemple parfait de la manière dont l’auteur a choisi de faire vivre (Wu) Kellanved : c.-à-d. à travers les yeux de Danseur en premier lieu, mais également des personnages secondaires.
Ian Esslemont nous propose très peu de passages du point de vue de Wu, ce magicien complètement barré. Il demeure insaisissable. Cela sert aussi à le caractériser dans le sens où il nous échappe et reste mystérieux.
L'énergie de vos personnages se transmet
Grâce à un échange entre deux personnages donnés, « l’énergie » du personnage dont il est question change et donne le ton de l’action suivante.
Alphie « la terreur de l’arène » rencontre Bratazurk qui lui offre une fleur par exemple. Le cœur d’Alphie se remplira de joie qui sera contagieuse. Ou bien il sera magnanime avec ses adversaires, qui à leur tour le seront, etc.
Cet évènement peut paraître insignifiant de prime abord, tout comme il peut résonner et révéler une tristesse, un traumatisme, peut-être le secret du personnage.
La fleur peut lui faire penser à un élément passé qui le hante par exemple. Cette technique sert dans des passages de l’histoire ou peut carrément déclencher l’intrigue.
Celui qui dit, qui est ? Qui le fait ? Ou pas ?
On peut aussi jouer sur les actes et les mots : celui qui parle beaucoup, mais fait peu ou le contraire de ce qu’il prône. Ou totalement l’inverse, un couard en paroles pourrait bien devenir un héros grâce à ses interventions. Avec cet outil, les « anti-héros » se révèlent. L’auteur peut facilement utiliser les différents niveaux du spectre des personnages entre protagonistes et antagonistes.
Dans la franchise Marvel, Loki se balade entre antagoniste et protagoniste, voire héros. Ses actes font qu’il est apprécié un peu plus à chaque film. Pourtant, son objectif de départ est d’obtenir le pouvoir par tous les moyens. Alors que dans la mythologie nordique d’où il est tiré, Loki est l’antagoniste classique : le méchant pur et dur.
C’est bien joli, Prisca, tout ça, mais j’ai le tournis. Par où commencer pour développer mon protagoniste et les autres ? Pas de panique les écrivains architectes ! Même si ce n’est pas ma spécialité, je vous donne quelques pistes à explorer.
Comment créer un personnage attachant ? Propositions concrètes
Si vous voulez suivre une méthode pas à pas : une fiche personnage comme guide
Certains logiciels d’écriture fournissent des modèles de fiche de personnage toutes faites. Vous trouverez celle de Scrivener (en anglais) ci-contre 👉. Cette fiche est succincte, mais peut servir à débroussailler si vous y ajoutez les points clefs de Wonderbook, sans oublier les deux questions à se poser initialement pour initier la réflexion sur les enjeux et objectifs :
- Que veut cette personne ou ce personnage ?
- De quoi elle ou il a besoin ?
Tous et toutes méritent leurs fiches. Elles ne seront peut-être pas complètement remplies au départ. Mais elles vous lanceront.
Character Name (nom du personnage)
Age • Location (lieu où il intervient dans l’histoire)
Role in Story (rôle dans l’histoire)=> antagoniste, protagoniste, etc.
Goal (objectif)
Physical Description => apparence physique
Occupation (métier ou ce qu’il ou elle fait dans la vie)
Habits/Mannerisms (habitudes, bizarreries) ses habitudes, comment il ou elle vit, etc.
Background (son histoire) => ici on peut glisser secrets et mensonges
Internal Conflicts (conflit interne) => motivations, insécurités, rêves et espoirs
External Conflicts (conflit externe)=> objectif et enjeux.
Si vous êtes du genre jardinier, mais que vous vous soignez
Bref, tout cela fonctionne bien si vous aimez tout construire avant d’écrire. Si comme moi vous écrivez d’abord, puis réfléchissez après (hello cowboy !), vous pouvez faire autrement et mixez les genres (enfin les méthodes).
Pour ma part, une fois la première scène écrite où un personnage apparaît, je dois souvent creuser un peu plus en particulier les descriptions physiques, mais l’essentiel s’y trouve déjà. Il me suffit soit de lire entre les lignes (littéralement), soit d’écrire une scène de plus.
Ensuite, je les ou la mets en relation avec les étapes de cette fiche ainsi que les questions mentionnées plus haut.
Parfois, j’utilise une mind ( ou carte mentale) qui me permet de concrétiser les liens plus facilement entre tous les points abordés. Et je l’oublie dans un tiroir en laissant mon subconscient gérer.
Lorsque le déroulement du fil narratif me pose un problème, je sors ma carte mentale ou ma fiche ( secoue la poussière dessus 😅). Je reprends les enjeux et les contraintes des personnages afin de débloquer la situation.
Souvent, le personnage a évolué et de nouveaux liens sont apparus. En effet, ayant « la tête dans l’écriture », je ne les remarque pas forcément.
La caractérisation de vos personnages les rend attachants et nuancés. C’est important en littérature de l’imaginaire, car ce sont eux qui permettront à votre histoire d’emporter le lecteur ou la lectrice vers les contrées imaginées pour elle ou lui. J’espère donc que ces quelques pistes de travail d’auteurs et autrices reconnues vous seront utiles et vous aideront à développer des personnages solides et captivants. Il n’y rien de révolutionnaire dans tout ce que je vous ai présenté ici, ce sont des éléments connus. En revanche, c’est en écrivant que l’on progresse et en écoutant le retour d’autres personnes, alors je vous donne rendez-vous dans un de mes stages d’écriture Fantasy.
Sources :
Mes secrets d’écrivain. Elizabeth George. Presses de la cité. 2014
Wonderbook. Jeff Vandermeer. Abrams Image 2018 (en anglais).
Référence des ouvrages cités en exemple :
La confrérie du sang (trilogie). John Gwynne. Éditions Léha (en français).
La voie de l’Ascendance. (Tomes un, deux et trois) Ian Esslemont. Éditions Léha (en français). 2022, 2023, 2025
Crédit photo :
Photo de behrouz sasani sur Unsplash